Un journaliste, François MENNELET, nous parle de sa visite au centre

 La reproduction de l'article a été faite d'après l'original envoyé par Albert MONTICO.
Cet article de presse qui date de 1953, est  éloquent et puissant.
Il est malheureusement impossible de savoir dans quel quotidien l'article a été publié.
Probablement dans la presse régionale de Seine et Oise à l'époque...

Cent adolescents, infirmes ou "polios", apprennent l'usage de leurs appareils
et un métier qui les rendra indépendants

Dans la cour où piaffèrent les équipages du maréchal de Villars, par les escaliers que gravirent au fil des
siècles les privilégiés du sang ou de la fortune, sous les plafonds qui abritèrent les réunions les plus brillantes,
une centaine d'enfants ou d'adolescents tentent d'oublier leur infortune et veulent vaincre les infirmités, qui voici
quelques années encore auraient fait d'eux des parias, ce que l'on appelle des assistés.

Je viens de passer une journée avec eux, aux Mesnuls, dans ce magnifique château du XVI è siècle, au coeur de
l'Ile de France, qui garde toute sa splendeur et recèle pourtant l'organisation  moderne dont les jeunes habitants
ont un impérieux besoin.

A tous ceux qui ont critiqué la politique des châteaux sans savoir que rien n'est si bon marché qu'une demeure historique,
à ceux qui croient aussi que l'initiative privée ne peut avoir de rôle, on peut donner les Mesnuls en exemple.

Au départ, en 1947, la fondation pour le traitement et la formation professionnelle des jeunes infirmes s'était fixé pour objectif
de recueillir les enfants victimes de la guerre. Elle accueille aujourd'hui des amputés, des brûlés, mais surtout et de plus en plus,
des enfants atteints de ces séquelles de poliomyélite que seul un long traitement peut rendre à une vie sinon normale,
du moins indépendante.

Les hôpitaux n'ont pour mission que de donner des traitements du début, les plus importants bien sûr, mais il leur faut faire
place nette pour ceux que l'on appelle les "malades frais" et nous disions récemment à l'occasion d'une visite à l'hôpital
de Garches que la poursuite du traitement de rééducation était l'un des problèmes les plus urgents à résoudre.

Ce complément indispensable, c'est l'une des trois raisons d'être des Mesnuls. Médecins et infirmières ayant à leur disposition
les moyens techniques appropriés, de la piscine de poche à la bicyclette immobile sur laquelle l'enfant rééduque ses muscles,
suivent les lents progrès de l'organisme qui retrouve une vigueur de remplacement. Aussi délicat est, pou ces corps en croissance,
l'apprentissage des appareils qui suppléent aux déficiences irréparables.

On doit apprendre à utiliser  son appareil comme on étudie le piano, me disait le médecin spécialiste qui vient plusieurs fois
par semaine pour donner cet enseignement.

Il est d'autres formes d'enseignement qui font du centre une organisation complète. Bien souvent ces enfants, après un séjour
plus ou moins long à l'hôpital, ne peuvent plus suivre les cours d'une classe normale. Sous la direction de deux instituteurs
fournis par l'Education Nationale, une classe de rattrapage et une division qui prépare le certificat d'études pallient à cette carence.

Mais le déroulement des exigences va poser une autre question. Rendre à des membres blessés ou atrophiés, une partie de
leur efficacité, permettre le minimum d’instruction, c’est nécessaire et insuffisant. A ces garçons que l’on s’efforce
  de sauver
de la dépendance, de leur mal, il faut encore apporter le complément qui les fera libres : un métier.

Ce n’est pas le plus simple, si l’on entend par métier une véritable profession comme celles qui sont enseignées au centre sous
le contrôle de l’Education technique et avec ses moniteurs : les emplois de bureau et la comptabilité, l’horlogerie de réparations
et la cordonnerie-botterie.

Nous avons parcouru les divers ateliers du centre, installés dans les communs de la propriété, puis le directeur nous fit franchir
une voûte, traverser un pré et présenta sa dernière création : le potager-fruitier. Vingt cinq garçons travaillaient, que nul à première
vue n’aurait pu distinguer de jardiniers ordinaires et dont le directeur me disait cependant à l’oreille les graves déficiences.

Je louais l’heureuse initiative en pensant qu’il n’y a pas que les infirmités du cœur que l’on peut traiter dans le calme de la nature
et rejoignis, dans un agréable bureau, mes hôtes.

Ils veulent faire de la boxe !

La baronne Mallet, la présidente de la fondation, qui, sous le pavillon de la Croix-Rouge, anime deux autres établissements
et va en ouvrir un troisième, inlassable d’activité, voulait très exactement se faire renseigner sur l’utilisation d’une certaine
tente militaire qu’elle avait aperçue dans un coin du parc.

« Cela vous choquerait-il beaucoup, répondit en souriant le directeur, si je vous annonçais que les garçons veulent faire de la boxe ? »
Elle éclata d’un rire heureux. C’était une victoire. Il se tourna vers moi : « il y a des gens qui protestent quand un garçon casse un
appareil en grimpant dans un arbre ou en jouant au football. Il ne savent pas combien l’enfant, le jeune surtout, éprouve de la
répugnance à l’appareillage. Il faut tout un apprentissage comme le disait le médecin, mais il est de surcroît nécessaire de lutter
contre la paresse et le laisser-aller qu’un séjour dans un asile ou même dans une famille aux petits soins pour l’infirme ne manque
pas de développer. Si cet appareil ne permet pas de faire des choses qu’on aime, alors il est pris en grippe et quelquefois volontairement
rendu inutilisable. Cassé pour cassé, vous comprendrez bien qu’il vaut mieux que l’enfant déplore l’accident plutôt que de s’en réjouir. »

Nous fûmes interrompus par la sortie des moniteurs d’éducation, les cinq garçons sportifs et francs qui passent leur vie avec les stagiaires,
leur enseignant ce qui n’est pas toujours ans les livres de classe, la chaleur de l’amitié, les exigences de la vie en commun, apportant le
complément humain qui fera peut-être d’eux, en dépit – d’autres disent à cause -
  de leur infirmité, des hommes d’une certaine valeur.

Pour compléter cette équipe, - la présidente, le directeur, les médecins, les professeurs ou éducateurs, les kinésithérapeutes – il fallait
entendre l’assistante sociale discuter de chaque garçon, en relation avec la famille, quand il y a une, discutant avec les administrations
pour les prises en charge.

Voici la conclusion : depuis six ans que les pensionnaires quittent les Mesnuls, apprentissage terminé, 76 sur 92 ont un métier.
Et ils l’exercent


François MENNELET