ARTICLE DE L’INDEPENDANT
ANNEE 1963
Vers le retour du cloître de Saint-Génis-des-Fontaines
et du portail de Saintes-Marie-del-Vilar
A la
suite de la dernière assemblée du conseil d’administration de l’Association pour
la sauvegarde du patrimoine artistique et historique roussillonnais, qui a
adopté à l’unanimité, une motion réclamant le retour du cloître de St-Génis-des-Fontaines
et du portail de Saintes-Marie-del-Vilar, nous avons prié M. Pierre Ponsich,
président de l’Association, de nous donner quelques détails complémentaires
ayant leur importance.
Quel
est l’intérêt artistique,
lui avons nous
demandé, du cloître de Saint-Génis-des-Fontaines ?
Le Cloître de Saint-Génis est avec
l’ancien Cloître de la Rodona, à Ille-sur-Têt, le dernier des cloîtres romans
roussillonnais, et le fait qu’il fut exécuté dans la seconde moitié, sinon même
à la fin
du XIIIème
siècle, ne constitue pas son moindre
intérêt. Il témoigne, en effet, de la persistance et de la survie de l’art roman
qui sur notre terre avait poussé très tôt de si profondes racines- en même temps
où presque partout ailleurs, il était déjà supplanté par des formules
franco-gothiques.
Si
sur le plan intrinsèque de la qualité de la sculpture on est obligé de constater
un déclin évident par rapport à des chefs-d’œuvre de notre grande époque romane
du XIIème siècle, tel que les ensembles de Cuxa et de Serabone, il
est cependant indéniable qu’on sent à Saint-Génis une volonté se s’évader des
thèmes traditionnels- auparavant importés de Byzance et du Proche-Orient au
bénéfice d’une inspiration plus autochtone puisant surtout ses motifs dans une
mythologie populaire et dans l’observation de la faune locale. Nous pensons ici
aux relations maritimes du Roussillon avec l’Egypte qui étaient courantes au
XIIIème siècle, et de la croisade égyptienne d Saint-Louis, à laquelle
participèrent de nombreux seigneurs méridionaux : entre autres le fameux Olivier
de Termes, fils de la Roussillonnaise Ermessinde de Cortsavi, et frère utérin
des Roussillonnais Guillem Huc de Serralonga et Ramon de Cortsavi.
Le sculpteur parvient souvent, avec des moyens simples et une technique parfois
rudimentaire, à une grande force expressive, au point que tel chapiteaux
jouissent d’une étrange et comme envoutante puissance de suggestion. Tel qu’il
est, avec ses faiblesses et avec ses qualités spécifiques, le Cloître de
Saint-Génis représente un chapitre original et toujours inédit de l’histoire de
l’art roman roussillonnais. : il est en définitive un des principaux monuments
de notre patrimoine artistique et historique d’une valeur architecturale
certaine et d’un charme prenant, sensible même aux profanes.
Comment a-t-on pu, voici moins de quarante ans, laisser dépecer et disperser
pareil ensemble ?
Vous
soulevez ici la plus pénible des questions. Il parait, en effet inconcevable que
Saint-Génis-des-Fontaines, déjà célèbre dans l’histoire de l’art- je ne dis pas
uniquement
roussillonnais, mais
national et européen- par son fameux linteau de 1019-1020, justement défini
comme « la plus ancienne représentation datée de la figure humaine dans la
sculpture médiévale française », ait pu être de nos jours impunément dépouillé
de son magnifique cloître de marbre.
Telle est pourtant la triste réalité ; et même (ceci on le sait moins) le
désastre on le verra, ne s’est pas encore arrêté là.
Le
méfait s’est accompli en 1924-1925. Le cloître était alors — conséquence d’un
état de choses antérieur à la Révolution – possédé par plusieurs familles
apparentées, de Saint-Génis.
M. Paul
Gouvert, l’antiquaire qui négocia entre autres, vers le même temps l’achat et
l’exportation des derniers marbres disponibles du Cloître de
Saint-Michel-de-Cuxa, s’intéressa à cet ensemble encore intact mais réparti
parmi des locaux d’exploitation. Un de ses émissaires, nommé Rappoport, enleva
l’affaire, obtenant le consentement à la vente des propriétaires des
trois-quarts du cloître environ. Seul M. Alfred Joud – un catalan de bonne race
à qui on ne rendra jamais assez hommage et que nous remercions d’avoir bien
voulu accepter d’être membre d’honneur de l’Association de sauvegarde –
s’obstina résolument à refuser sa part à n’importe quel prix.
C’est donc à lui que nous devons la conservation, à leur emplacement d’origine,
de 11 chapiteaux de Saint–Génis et d’un douzième retrouvé non loin de là. C’est
seulement en juillet 1924, et à sa demande, que ces derniers éléments furent
classés monument historique : mais on avait auparavant laissé démonter et
disperser tout le reste.
Comment et pourquoi ?
Ici,
nous n’apercevons, pour notre part, aucune raison de dissimuler la navrante
vérité. La raison essentielle est qu’aucune des autorités légales qui auraient
pu et dû être éviter cet acte
de
vandalisme, autorités municipales, autorités départementales, autorités d’Etat,
n’a, en la circonstance, fait son devoir. Une fois de plus, les intérêts sacrés
de notre patrimoine culturel, non seulement roussillonnais mais national ont été
en fait, complètement méconnus.
Quand à l’opinion elle ne fut pas alertée. C’est à peine si nous avons retrouvé
dans la chronique locale de « L’Indépendant » du 22 février 1924, un appel
timide et isolé d’un « ami de l’art ».
Et
ce rapt inaperçu vint simplement s’ajouter à la longue liste des actes de
pillage dont le Roussillon n’a pas encore, à ce jour cessé d’être victime.
Et
c’est sans doute pourquoi, quelques dix ans plus tard (1935) dans des conditions
certainement beaucoup plus graves et bien plus pénibles, la table romane du
maître—autel de Saint—Génis — cet élément le plus sacré d’une église, que son
caractère eut dû suffire à protéger — fut elle aussi livrée aux marchands en
même temps que l’antique chair abbatiale de marbre sculpté, objet unique, des
XIIème et XIIIème siècles, et le tout inexorablement
exporté en Amérique.
Déjà en 1933, à l’époque des premières exportations des chapiteaux de Cuxa, deux
« touristes » américains avaient acquis les superbes sarcophages de marbre
sculpté et inscrit des abbés de Saint-Génis, suivant ce que nous apprend une
protestation de la « Semaine Religieuse » du 17 août 1913.
Il
faut bien reconnaitre que ces faits, surtout les plus récents, passent
l’entendement. Quel fut donc le sort des marbres démontés en 1924-1925 ?
Les
éléments achetés par l’antiquaire (nous avons dénombré un minimum de 31
chapiteaux, plus les colonnes, basses, arcades et mur-bahut correspondant, mais
il y a eu davantage, car nous avons la preuve qu’il y avait d’autres chapiteaux
en surnombre : l’un d’eux est toujours entre les mains de M. Joud, un autre a
été déposé par nous dans l’église de Saint-Génis, voici quelques années, après
avoir longtemps séjourné à Cuxa, ces éléments, donc, furent expédiés dans
l’atelier de M. Gouvert, où une partie furent remontée et exposée.
Finalement, l’antiquaire qui avait également un atelier de sculpture, les
revendit, entremêlés de pièces de complément fabriquées par lui d’une part au
musée de Philadelphie (Etat de Pennsylvanie, USA) d’autre part à M.
Chryssoveloni, banquier roumain, propriétaire de château des Mesnuls (S.et-O.)
Une
récente expertise de ce dernier ensemble a démontré l’authenticité des deux
tiers au moins des 24 chapiteaux remontés aux Mesnuls. Il s’y ajoute
l’intéressant portail roman de Saintes-Marie-del-Vilar, près de
Villelongue-dels-Monts, que l’antiquaire avait acheté et enlevé à la même époque
et sous les yeux de la population et du curé qui, ici, tentèrent (il est vrai
vainement) de s’y opposer.
L’ensemble des Mesnuls est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments
Historiques depuis le 1er août 1946, (il ne peut par conséquent être
vendu à l’étranger). C’est lui qui est actuellement disponible, ce qui
constitue, une occasion inespérée à ne pas laisser échapper.
Peut-on raisonnablement espérer, cette fois qu’il en sera effectivement ainsi ?
Nous
avons, cette fois, le ferme espoir qu’un résultat positif pourra être obtenu.
Et
ceci pour plusieurs raisons :
Tout
d’abord – l’avenir nous dira si nous nous faisons des illusions – parce que nous
croyons notre position forte de trop d’évidences pour ne pas rencontrer
l’approbation générale, et en premier lieu celle du Ministre d’Etat aux Affaires
Culturelles qui (c’est le moins qu’on puisse dire) a donné les preuves de sa
compréhension profonde de l’Œuvre d’Art.
En
second lieu, parce que nous avons rencontré du côté du Service des Monuments
Historiques et de la direction des Musées Nationaux, des dispositions très
favorables à un éventuel regroupement à Saint-Génis, non seulement des éléments
des Mesnuls, mais encore de ceux qui figurent au musée du Louvre ? Geste dont
nous ressentons tout le prix, et qui, à lui seul, devrait suffire à entrainer
l’intervention agissante de nos collectivités locales.
Ensuite, parce que nous savons depuis 1925, les esprits ont tout de même évolué
dans le bon sens, que les notions de valeur culturelle et artistique ont gagné
du terrain (presse et radio ont joué et joueront, à cet égard, un rôle
inappréciable) ; ce pourquoi nous comptons sur une prise de position ferme et
catégorique des municipalités intéressées.
Enfin, parce que notre Association de sauvegarde du patrimoine existe, et
qu’elle réunit déjà les principales autorités intellectuelles et morales du
Roussillon, et qu’elle peut compter, en outre, sur l’approbation et l’appui du
préfet des P.-O., des parlementaires (membres d’honneur de l’A.S.P.A.H.R.) et du
Conseil Général (où nous comptons aussi des membres d’honneur et des membres
actifs).
Ce
fait, à lui seul, suffit à prouver que les temps sont changés et que, désormais,
la cause de la sauvegarde de notre patrimoine artistique n’est plus seulement
défendue par quelques « Amis des Arts », francs-tireurs isolés et impuissants à
se faire entendre.
En
conclusion, nous croyons donc fermement que, tant à Paris, qu’à Perpignan,
l’affaire du cloître de Saint-Génis est en bonne voie.
Le
chapiteau « égyptien » de Saint-Génis
L’omission d’un nombre de phrases a rendu inintelligible un passage de notre
article intitulé : « Vers un retour du cloître de Saint-Génis-des-Fontaines et
du portail de Saintes-Marie-del-Vilar ».
Nous rétablissons ce passage :
Il est cependant indéniable qu’on sent à Saint-Génis une volonté de s’évader
des thèmes traditionnels – auparavant importés de Byzance et du Proche-Orient –
au bénéfice d’une inspiration plus autochtone puisant surtout ses motifs dans
une mythologie populaire et dans l’observation de la faune locale, sans
préjudice des réminiscences égyptiennes qui sont peut-être plus qu’une simple
coïncidence.